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983. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

Scènes de notre enfance, après quinze ans rêvées, Au plus pur de mon cœur impressions gravées, Lieux, noms, demeure, et vous, aimables habitants, Je vous revois encore après un si long temps, Aussi présents à l’œil que le sont des rivages À l’onde dont le cours reflète les images, Aussi frais, aussi doux, que si jamais les pleurs N’en avaient de mes yeux altéré les couleurs ; Et vos riants tableaux sont à mon âme aimante Ce qu’au navigateur battu par la tourmente Sont les songes dorés qui lui montrent de loin Le rivage chéri de son bonheur témoin, L’ondoyante moisson que sa main a semée, Et du toit paternel le seuil, ou la fumée ! […] ……………………………………………………… ……………………………………………………… XI Après nous être écrit tous les hivers d’innombrables lettres et des volumes de vers sur nos impressions, sur nos lectures, sur nos philosophies, sur nos rêves d’adolescents, nous nous réunissions tout l’été et tout l’automne, tantôt au Grand-Lemps, dans la sévère maison de madame de Virieu, semblable en tout à un cloître autour d’un tombeau, plein de tristesse, de méditation et de silence ; tantôt dans la vallée de Chambéry, dans la petite maison de Bissy, chez une tante hospitalière de Louis de Vignet ; plus habituellement et plus longuement chez Prosper de Bienassis. […] Enfermés pendant des soirées entières dans cette chambre haute dont nous avions soin de retirer la clef, pendant qu’on nous croyait dans les bois ou dans les plaines, couchés à terre sur le plancher poudreux, entourés chacun de piles de livres, nous lisions tout en causant à demi-voix des impressions de ces lectures. […] Elle me parla de ma mère, qu’elle avait connue à la cour dans son enfance ; de mes vers, qui révélaient, disait-elle, une fibre malade dans un cœur sain ; du danger de la solitude absolue à mon âge, qui fausse ou qui aigrit les impressions, ces sens du génie ; du bonheur qu’elle aurait à remplacer pour moi ma famille éloignée et à m’introduire dans la sienne comme un enfant de plus parmi les charmants enfants dont la Providence avait orné son foyer et consolé ses vieux jours. […] Il n’écrivait pas et il parlait peu ; mais c’est le seul orateur qui m’ait laissé l’impression de la souveraine éloquence, celle qui vient de l’âme, et qui va à l’âme parce qu’elle en vient.

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