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13. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 35, de l’idée que ceux qui n’entendent point les écrits des anciens dans les originaux, s’en doivent former » pp. 512-533

Or comme celui qui n’a pas entendu un air n’est pas reçu à disputer sur son excellence contre ceux qui l’ont entendu, comme celui qui n’a jamais eu la fiévre, n’est point admis à contester sur l’impression que fait cette maladie, avec ceux qui ont eu la fiévre, de même celui qui ne sçait pas la langue dans laquelle un poëte a écrit, ne doit pas être reçu à disputer contre ceux qui entendent ce poëte, concernant son mérite et l’impression qu’il fait. Disputer du mérite d’un poëte et de sa superiorité sur les autres poëtes, n’est-ce pas disputer de l’impression diverse que leurs poësies font sur les lecteurs, et de l’émotion qu’elles causent ? […] En second lieu, supposant que le traducteur soit venu à bout de rendre la figure latine dans toute sa force, il arrivera très-souvent que cette figure ne fera pas sur nous la même impression qu’elle faisoit sur les romains, pour qui le poëme a été composé. […] Ainsi les figures empruntées des armes et des machines de guerre des anciens, ne sçauroient faire sur nous la même impression qu’elles faisoient sur eux. […] Mais se faire l’idée d’un poëme sur ce que les personnes capables de l’entendre en sa langue, déposent unanimement concernant l’impression qu’il fait sur elles, c’est la meilleure maniere d’en juger quand nous ne l’entendons pas.

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