Au milieu des passions de sa jeunesse, des entraînements emportés et crédules comme ceux du commun des hommes, Molière avait déjà à un haut degré le don d’observer et de reproduire, la faculté de sonder et de saisir des ressorts qu’il faisait jouer ensuite au grand amusement de tous ; et plus tard, au milieu de son entière et triste connaissance du cœur humain et des mobiles divers, du haut de sa mélancolie de contemplateur philosophe, il avait conservé dans son propre cœur, on le verra, la jeunesse des impressions actives, la faculté des passions, de l’amour et de ses jalousies, le foyer véritablement sacré. […] De plus, en lisant convenablement le vers : Dans ce sac ridicule où Scapin l’enveloppe9 (car Molière en cette pièce jouait le rôle de Géronte, et par conséquent il entrait en personne dans le sac), on conçoit l’impression pénible que causait à Boileau cette vue de l’auteur du Misanthrope, malade, âgé de près de cinquante ans et bâtonné sur le théâtre. […] Boileau dut écrire, ce me semble, le passage de l’Art poétique sous l’impression qui lui resta du précédent entretien. […] Le jugement qui suit, sur Walter Scott, revient assez naturellement ici : « C’était, dans le roman, un de ces génies qu’on est convenu d’appeler impartiaux et désintéressés, parce qu’ils savent réfléchir la vie comme elle est en elle-même, peindre l’homme dans toutes les variétés de la passion ou des circonstances, et qu’ils ne mêlent en apparence à ces peintures et à ces représentations fidèles rien de leur propre impression ni de leur propre personnalité. […] Qu’une telle nature de poëte lyrique veuille créer des personnages vivants, un monde d’ambitieux, d’amants, de pères, etc. ; il arrivera que n’ayant pas en soi la mesure juste, la moyenne, en quelque sorte, de l’âme humaine, le poëte se méprendra sur toutes les proportions des caractères, et ne parviendra pas à les poser dans un rapport naturel de terreur et de pitié avec les impressions de tous.