/ 2583
465. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

Notre âme a deux ressorts par lesquels on la met en mouvement, le sentiment et l’imagination. Le premier de ces deux ressorts a sans doute le plus de force ; mais l’imagination peut quelquefois en jouer le rôle et en tenir la place. C’est par là qu’un orateur, sans être réellement affligé, fera verser des pleurs à son auditoire et en répandra lui-même ; c’est par là qu’un comédien, en se mettant à la place du personnage qu’il représente, agite et trouble les spectateurs au récit animé des malheurs qu’il n’a pas ressentis ; c’est enfin par là que des hommes nés avec une imagination sensible, peuvent inspirer dans leurs écrits l’amour des vertus qu’ils n’ont pas. L’imagination ne supplée jamais au sentiment par l’impression qu’elle fait sur nous-mêmes ; mais elle peut y suppléer par l’impulsion qu’elle donne aux autres. L’effet du sentiment en nous est plus concentré ; celui de l’imagination est plus fait pour se répandre au dehors ; l’action de celle-ci est plus violente et plus courte, celle du sentiment est plus forte et plus constante.

/ 2583