Voilà déjà trois générations, ce me semble, qui se succèdent et dans lesquelles un nombre assez considérable d’esprits partis de points de vue fort différents se sont fait de Voltaire une assez juste idée, mais une idée qui est restée dans la chambre entre quelques-uns et qui a toujours été remise en question par la jeunesse survenante ; car les jeunes gens, à leur insu, au moment où ils entrent activement dans la vie, cherchent plutôt dans les hommes célèbres du passé et dans les noms en vogue des prétextes à leurs propres passions ou à leurs systèmes, des véhicules à leurs trains d’idées et à leurs ardeurs : soit qu’ils les épousent et les exaltent, soit qu’ils les prennent à partie et les insultent, c’est eux-mêmes encore qu’ils voient à travers ; c’est leur propre idée qu’ils saluent et qu’ils préconisent, c’est l’idée contraire qu’ils rabaissent et qu’ils rudoient. […] Qui voudrait recueillir dans les correspondances du temps les mots et les jugements de Mme Du Deffand, du président Hénault et autres de ce monde-là sur Voltaire, les jugements du président de Brosses, de Frédéric, de Mme de Créqui (j’en ai donné des échantillons), quiconque ferait cela aurait l’idée d’un Voltaire vrai, non convenu, non idéalisé et ennobli par l’esprit de parti, et auquel on laisserait toutefois la gloire entière de ses talents. […] La publication de ces deux volumes de Lettres inédites va nous permettre et nous obliger de parcourir une fois de plus et de repasser rapidement en idée toute la vie de Voltaire. […] Il en revint définitivement formé, avec un fonds d’idées qu’il accroîtra peu, et avec un cachet intérieur qu’il ne perdra plus. […] Si je suivais mon inclination, ce serait là que je me fixerais, dans l’idée seulement d’apprendre à penser.