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388. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Tout homme doué de grandes facultés, et venu en des temps où elles peuvent se faire jour, est comptable, par-devant son siècle et l’humanité, d’une œuvre en rapport avec les besoins généraux de l’époque et qui aide à la marche du progrès. […] Diderot, dès ses premières Pensées philosophiques, paraît surtout choqué de cet aspect tyrannique et capricieusement farouche, que la doctrine de Nicole, d’Arnauld et de Pascal prête au Dieu chrétien ; et c’est au nom de l’humanité méconnue et d’une sainte commisération pour ses semblables qu’il aborde la critique audacieuse où sa fougue ne lui permit plus de s’arrêter. […] A la place de Diderot, Horace (je le suppose assez goutteux déjà pour être sage), Horace lui-même n’aurait pas donné d’autres préceptes, des conseils mieux pris dans le réel, dans le possible, dans l’humanité ; et certes il ne les eût pas assaisonnés de maximes plus saines, d’indications plus fines sur l’art du comédien. […] Il y en a seulement un très-petit nombre de sages qui cherchent avec soin ce sentier, et qui, l’ayant découvert, y marchent avec grande circonspection, et, trouvant ainsi le moyen de passer le torrent, arrivent enfin à un lieu de sûreté et de repos. » L’image de Nicole n’est pas consolante ; au chapitre V du traité de la Crainte de Dieu, on peut chercher une autre scène de carnage spirituel, dans laquelle n’éclate pas moins ce qu’on a droit d’appeler le terrorisme de la Grâce : on conçoit que Diderot ait trouvé ces doctrines funestes à l’humanité, et qu’il ait voulu faire à son tour, sous image d’île et d’océan, une contre-partie au tableau de Nicole. — Il y a aussi dans Pascal une comparaison du monde avec une île déserte, et les hommes y sont également de misérables égarés.

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