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362. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1887 » pp. 165-228

Samedi 12 mars Le pourboire, cette générosité essentiellement française, prouve l’humanité d’une nation. […] Comme je reprochais à Rosny l’alchimie de ses ciels, lui disant que l’effet produit par un ciel sur un humain, est une impression vague, diffuse, poétiquement immatérielle, si l’on peut dire, et ne pouvant être traduite qu’avec des vocables, sans détermination, bien arrêtée, bien précise, et qu’avec ses qualifications rigoureuses, ses mots techniques, ses épithètes minéralogiques, il solidifiait, matérialisait ses ciels, les dépoétisait de leur poésie éthérée… Rosny m’a répondu, avec l’assurance vaticinatrice d’un prophète, que dans cinquante ans, il n’y aurait plus d’humanités latines, et que toute l’éducation serait scientifique, et que la langue descriptive qu’il employait, serait la langue en usage. […] Oui, c’est un paysagiste, un peintre de dessous de bois très remarquable, mais un peintre d’humanité, petit, manquant de la bravoure de l’observation. […] C’est dans son œuvre, cet adoucissement du caractère de l’humanité de son pays, qui amena un jour entre Flaubert et moi, la plus vive discussion que nous ayons jamais eue, me soutenant que cette rudesse était une exigence de mon imagination, et que les Russes devaient être tels qu’il les avait représentés. […] Tant pis, je l’aime cette vérité, et j’aime à la dire, ainsi que c’est permis de son vivant, à la dose d’un granule homéopathique… et oui, pour cette vérité telle quelle, s’il le faut, je saurais mourir, comme d’autres meurent pour une patrie… Puis vraiment, est-ce que nos illustres, nos académiciens, nos membres de l’Institut se figurent passer à la postérité, comme de petits bons dieux en chambre, sans alliage d’humanité aucune… Allons donc, ces hypocrisies de la convention, tous ces mensonges seront percés un jour, un peu plus tôt, un peu plus tard.

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