« Tant que la vie de Crassus avait été occupée dans les travaux du forum, il était distingué par les services qu’il rendait aux particuliers et par la supériorité de son génie, et non pas encore par les avantages et les honneurs attachés aux grandes places ; et l’année qui suivit son consulat, lorsque, d’un consentement universel, il allait jouir du premier crédit dans le gouvernement de l’État, la mort lui ravit tout à coup le fruit du passé et l’espérance de l’avenir ! […] « Mais surtout ces distinctions, ces honneurs, cette considération publique, en un mot tous vos bienfaits, quelque brillants qu’ils m’aient toujours paru, renouvelés aujourd’hui, se montrent à mes yeux avec plus d’éclat que s’ils n’avaient souffert aucune éclipse. […] « Vos honneurs enfin, à chacun desquels nous étions parvenus par une élévation progressive, vous nous les restituez tous en un seul et même jour ; en sorte que les biens que nous tenions soit de nos parents, soit des dieux, soit de vous-mêmes, nous les recevons tous à la fois de la faveur du peuple romain tout entier. […] Les uns m’ont poursuivi avec acharnement, par haine de ce que j’ai sauvé la patrie malgré eux ; d’autres, sous le masque de l’amitié, m’ont indignement trahi ; d’autres, n’ayant pu obtenir les honneurs, parce qu’ils n’ont rien fait pour les mériter, me les ont enviés et sont devenus jaloux de ma gloire ; les autres enfin, préposés à la garde de la république, ont vendu ma vie, l’intérêt de l’État, la dignité du pouvoir dont ils étaient revêtus. […] Il vaut mieux renvoyer les esprits, qui parmi nous s’occupent de ces matières, aux écrivains grecs eux-mêmes. » « Vous avez raison, Varron », répond Cicéron en rappelant avec la complaisance de l’amitié les beaux ouvrages poétiques et historiques composés par cet ami. « Pour moi, ajoute-t-il (je vais vous confesser les choses telles qu’elles sont), pendant le temps où l’ambition, les honneurs, le barreau, la politique et plus encore ma participation au gouvernement de la république m’entravaient dans un réseau d’affaires et de devoirs, je renfermais en moi mes connaissances philosophiques, et, pour que le temps ne les altérât pas, je les renouvelais dans mes heures de loisir par la lecture.