Aujourd’hui que le Roman s’élargit et grandit, qu’il commence à être la forme sérieuse, passionnée, vivante, de l’étude littéraire et de l’enquête sociale, qu’il devient, par l’analyse et par la recherche psychologique, l’Histoire morale contemporaine ; aujourd’hui que le Roman s’est imposé les études et les devoirs de la science, il peut en revendiquer les libertés et les franchises. […] Préface de la première édition (1882)12 Aujourd’hui, lorsqu’un historien se prépare à écrire un livre sur une femme du passé, il fait appel à tous les détenteurs de l’intime de la vie de cette femme, à tous les possesseurs de petits morceaux de papier, où se trouve raconté un peu de l’histoire de l’âme de la morte. Pourquoi, à l’heure actuelle, un romancier (qui n’est au fond qu’un historien des gens qui n’ont pas d’histoire), pourquoi ne se servirait-il pas de cette méthode, en ne recourant plus à d’incomplets fragments de lettres et de journaux, mais en s’adressant à des souvenirs vivants, peut-être tout prêts à venir à lui ? […] Ce roman de Chérie a été écrit avec les recherches qu’on met à la composition d’un livre d’histoire, et je crois pouvoir avancer qu’il est peu de livres sur la femme, sur l’intime féminilité de son être depuis l’enfance jusqu’à ses vingt ans, peu de livres fabriqués avec autant de causeries, de confidences, de confessions féminines : bonnes fortunes littéraires arrivant, hélas ! […] Il montre, lors de notre début littéraire, la tendance de nos esprits à déjà introduire dans l’invention la réalité du document humain, à faire entrer dans le roman, un peu de cette histoire individuelle qui, dans l’Histoire, n’a pas d’historien.