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784. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Avec cela, beaucoup de lecture, de savoir, de justesse et de discernement dans l’esprit, sans opiniâtreté, mais avec fermeté ; fort désintéressé, toujours occupé, avec une belle bibliothèque, et commerce avec force savants dans tous les pays de l’Europe, attaché aux étiquettes et aux manières d’Espagne sans en être esclave ; en un mot, un homme de premier mérite, et qui par là a toujours été compté, aimé, révéré beaucoup plus que par ses grands emplois, et qui a été assez heureux pour n’avoir contracté aucune tache de ses malheurs militaires en Catalogne. » Ce portrait épanouit le cœur. […] On répondra que ces gens s’ennuyaient, que ces mœurs étaient une tradition, qu’un amusement est un accident, qu’au fond le cœur n’était pas vil : « Nanon, la vieille servante de madame de Maintenon, était une demi-fée à qui les princesses se trouvaient heureuses quand elles avaient occasion de parler et d’embrasser, toutes filles de roi qu’elles étaient, et à qui les ministres qui travaillaient chez madame de Maintenon faisaient la révérence bien bas. » L’intendant Voysin, petit roturier, étant devenu ministre, « jusqu’à Monseigneur se piqua de dire qu’il était des amis de madame Voysin, depuis leur connaissance en Flandre. » On verra dans Saint-Simon comment Louvois, pour se maintenir, brûla le Palatinat, comment Barbezieux, pour perdre son rival, ruina nos victoires d’Espagne. […] Heureux le grand seigneur qui échange un mot avec Bloin ! […] « Je ne pus me contenir de lui dire à l’oreille que je ne serais point heureux avec une autre qu’avec sa fille. » On lui oppose de nouvelles difficultés ; à l’instant un poème d’arguments, de réfutations, d’expédients, pousse et végète dans sa tête ; il étourdit le duc « de la force de son raisonnement et de sa prodigieuse ardeur » ; c’est à peine si enfin, vaincu par l’impossible, il se déprend de son idée fixe. […] La Fontaine, le plus heureux, fut le plus parfait ; Pascal, chrétien et philosophe, est le plus élevé ; Saint-Simon, tout livré à sa verve, est le plus puissant et le plus vrai.

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