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1191. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIe entretien. Vie du Tasse (2e partie) » pp. 65-128

Le Pastor fido, de Guarini, fut peu de temps après la plus heureuse imitation de l’Aminta du Tasse ; mais le Tasse lui-même ne parut pas attacher à cette œuvre de sa jeunesse l’importance qui s’y attacha dans le goût du temps ; il aspirait avant tout à la gloire épique, ce sommet de l’art selon son siècle ; il ne voulut pas donner la mesure de son génie dans un monument inférieur à l’épopée. […] Or, si cette impossibilité de vivre est absolue pour un être qui serait complètement supérieur à la généralité des hommes, cette difficulté de vivre heureux est relative dans les êtres doués seulement d’une sensibilité supérieure de quelques degrés à celle de leurs semblables. […] « Hier », dit le Tasse, dans une lettre confidentielle à son ami Scalabrino, « Madame Léonore m’a dit dans la conversation, sans que rien eût amené un pareil sujet, que jusqu’alors ses revenus avaient été extrêmement bornés ; mais qu’à présent que sa fortune s’était améliorée par l’héritage de sa mère, elle serait heureuse d’ajouter à mon traitement, de son trésor, tout ce qui pourrait m’assister ; ceci, je ne l’ai pas recherché ni ne le rechercherai jamais, et je n’aurai jamais recours ni au duc ni à ses sœurs ; mais, s’ils m’accordent d’eux-mêmes une faveur, quelque petite soit-elle, bien loin de la refuser, je la recevrai avec reconnaissance. » Les biographes et les commentateurs les plus versés dans les mystères de la cour de Ferrare en ce moment, ont cru que la froideur avec laquelle le Tasse accueillit la gracieuse prévenance de son amie Léonora tenait à une passion passagère qu’il affichait pour une autre Léonora qui éclipsait toutes les beautés de son temps. […] Heureux d’avoir rencontré un pareil hôte, je lui dis que je serais charmé de profiter de son offre le plus tôt possible ; à ces mots, il me montra sa maison.

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