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929. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

Tout ce que nous avons étudié jusqu’ici, les chansons de geste, les romans gréco-romains, byzantins ou bretons, la poésie lyrique, l’histoire même, est au moins par essence et par destination une littérature aristocratique : c’est aux mœurs, aux sentiments, aux aspirations des hautes parties de la société féodale que répondent les œuvres maîtresses et caractéristiques de ces divers genres. […] La littérature des hauts barons, d’abord : voici tous les thèmes et tous les lieux communs de l’épopée ; nous les reconnaissons au passage : voici la cour du roi, la guerre féodale naissant d’une partie d’échecs, où quelque preux se querelle avec le fils de l’empereur, le baron pauvre et mourant de faim dans son château, et tenant conseil avec ses fils ; voici les messagers qui vont et viennent entre les adversaires, au grand péril de leurs membres et de leur vie ; voici les formalités des procès en cour du roi, et du duel judiciaire. […] Un premier fond est fourni par la tradition orale qui s’est perpétuée depuis la plus haute antiquité, vivant et circulant sous la littérature artiste des Grecs et des Romains, y pénétrant parfois et y laissant quelque dépôt : comme certains sujets de la Comédie nouvelle, ou ce conte scabreux, qui bien des siècles avant de se fixer chez nous dans un fabliau, fournit à Pétrone sa Matrone d’Éphèse. […] Car, en passant des bords du Gange aux rives de la Marne ou de la Somme, ils perdaient leur sens religieux, leur haute et ascétique moralité ; les peintures vengeresses et salutaires des tours malicieux de l’éternelle ennemie, de la femme, piège attrayant de perdition, devinrent dans la bouche de nos très positifs bourgeois une licencieuse dérision de leurs joyeuses commères et de la vie conjugale.

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