Pour nous expliquer toute la vérité sur Villars, sans lui faire injure, et pour nous expliquer en même temps le jugement indigné de Saint-Simon sans faire à ce dernier trop de tort, nous n’avons qu’à nous figurer (ce qui arrivait en effet) Villars dans quelque retour à Versailles, Villars déjà comblé et se présentant comme à moitié délaissé et déçu, parlant avec ostentation de sa malheureuse petite fortune à peine commencée, et de son peu de faveur en Cour, disant tout haut qu’il voyait bien que c’était une des maximes favorites des rois qu’on retient plus les hommes par l’espérance que par la reconnaissance, qu’ils font espérer beaucoup et accordent peu, et donnant par là à entendre qu’à lui, on lui promettait plus qu’on ne tenait. […] Laissons aux actions humaines, pourvu qu’elles soient bonnes, leurs motifs divers : socialement parlant, n’ôtons point au navire ses plus hautes voiles. […] Villars va s’appliquer à remplir de tout point le programme : confiant avec raison dans la position qu’il s’est choisie à Haute-Sierck, il a l’œil à tout ; observe les moindres mouvements des ennemis, et cherche à deviner ce qu’il ne voit pas : « Enfin, Sire, je tâche d’imaginer tout ce que peuvent faire les ennemis, et Votre Majesté doit être persuadée que l’on fera humainement tout ce qui sera possible. » Marlborough s’ébranle avec une armée composée d’Anglais, de Hollandais et d’Allemands, qu’il disait être de cent dix mille hommes, et que Villars estimait de quatre-vingt mille, et publiant bien haut qu’il allait attaquer les Français. […] Tout l’honneur de l’avoir conjuré revient à Villars, à sa fermeté, à son choix d’un bon poste, à sa sagesse à s’y maintenir, à l’esprit excellent dont il avait animé ses troupes, et qui fit perdre à l’adversaire l’idée qu’on les pût entamer. « Mes affaires, par le parti que vous avez obligé le duc de Marlborough de prendre, lui écrivait Louis XIV satisfait, sont au meilleur état que je les pouvais désirer ; il ne faut songer qu’à les maintenir jusqu’à la fin de la campagne ; si elle était heureuse, je pourrais disposer les choses de manière à la finir par quelque entreprise considérable. » Marlborough, en s’éloignant, crut devoir s’excuser auprès de Villars même (une bien haute marque d’estime) de n’avoir pas plus fait ; il lui fit dire, par un trompette français qui s’en revenait au camp, qu’il le priait de croire que ce n’était pas sa faute s’il ne l’avait pas attaqué ; qu’il se retirait plein de douleur de n’avoir pu se mesurer avec lui, et que c’était le prince de Bade qui lui avait manqué de parole.