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296. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — III. (Fin.) » pp. 175-194

Or, combien que j’y reconnaisse une partie de ses défauts, et que je sois contraint de lui tenir quelquefois la main haute quand je suis en mauvaise humeur, qu’il me lâche ou qu’il s’échappe en ses fantaisies, néanmoins je ne laisse pas de l’aimer, d’en endurer, de l’estimer et de m’en bien et utilement servir, pource que d’ailleurs je reconnais que véritablement il aime ma personne, qu’il a intérêt que je vive, et désire avec passion la gloire, l’honneur et la grandeur de moi et de mon royaume ; aussi qu’il n’a rien de malin dans le cœur, a l’esprit fort industrieux et fertile en expédients, est grand ménager de mon bien ; homme fort laborieux et diligent, qui essaye de ne rien ignorer et de se rendre capable de toutes sortes d’affaires, de paix et de guerre ; qui écrit et parle assez bien, d’un style qui me plaît, pource qu’il sent son soldat et son homme d’État : bref, il faut que je vous confesse que, nonobstant toutes ses bizarreries et promptitudes, je ne trouve personne qui me console si puissamment que lui en tous mes chagrins, ennuis et fâcheries. […] Il lui reproche de manquer de vue, de conseil, et, dans de telles circonstances, de n’avoir songé qu’à sa situation privée, à ses charges et aux dédommagements qu’il pouvait exiger en se retirant : « Il est vrai, dit Richelieu, qu’on n’avait autre intention que de lui faire un pont d’or, que les grandes âmes souvent méprisent, lorsqu’en leur retraite ils peuvent eux-mêmes s’en faire un de gloire. » Richelieu eut aussi, mais par nécessité seulement, ses heures et ses années de souplesse où, bon gré mal gré, la gloire fut subordonnée à d’autres soins : quand il fut au complet et qu’il put donner toute sa mesure, reconnaissons qu’il eut autrement de généreux orgueil et de grandeur d’âme. […] Retiré dans ses terres et châteaux, il ne mourut que le 21 décembre 1641, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, et vit toute la grandeur et toute la restauration monarchique accomplie par le glorieux ministre de Louis XIII.

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