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1214. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

« Qui ne me voudra savoir gré, dit-il, de l’ordre, de la douce et muette tranquillité qui a accompagné ma conduite, au moins ne peut-il me priver de la part qui m’en appartient par le titre de ma bonne fortune. » Et il est inépuisable à peindre en expressions vives et légères ce genre de services effectifs et insensibles qu’il croit avoir rendus, bien supérieurs à des actes plus bruyants et plus glorieux : « Ces actions-là ont bien plus de grâce qui échappent de la main de l’ouvrier nonchalamment et sans bruit, et que quelque honnête homme choisit après, et relève de l’ombre pour les pousser en lumière à cause d’elles-mêmes. » Ainsi la fortune servit à souhait Montaigne, et, même dans sa gestion publique, en des conjonctures si difficiles, il n’eut point à démentir sa maxime et sa devise, ni à trop sortir du train de vie qu’il s’était tracé : « Pour moi, je loue une vie glissante, sombre et muette. » Il arriva au terme de sa magistrature, à peu près satisfait de lui-même, ayant fait ce qu’il s’était promis, et en ayant beaucoup plus fait qu’il n’en avait promis aux autres. […] Voilà Montaigne en tout, et, quoi qu’il dise de sérieux, il le couronne par une grâce.

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