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40. (1759) Observations sur l’art de traduire en général, et sur cet essai de traduction en particulier

Alors la traduction aura toutes les qualités qui doivent la rendre estimable ; l’air facile et naturel, l’empreinte du génie de l’original, et en même temps ce goût de terroir que la teinture étrangère doit lui donner. […] « Les Français, disait-il, manquent de goût ; il n’y a que le goût ancien qui puisse former parmi nous des auteurs et des connaisseurs ; et de bonnes traductions donneraient ce goût précieux à ceux qui ne seraient pas en état de lire les originaux. » Si nous manquons de goût, j’ignore où il s’est réfugié ; ce n’est pas au moins faute de modèles dans notre propre langue, qui ne cèdent en rien aux anciens. […] Elles multiplieront les bons modèles ; elles aideront à connaître le caractère des écrivains, des siècles et des peuples ; elles feront apercevoir les nuances qui distinguent le goût universel et absolu du goût national. […] Nos littérateurs trouveraient surtout un avantage considérable à traduire ainsi par morceaux détachés certains ouvrages qui renferment assez de beautés pour faire la fortune de plusieurs écrivains, et dont les auteurs, s’ils avaient eu autant de goût que d’esprit, effaceraient ceux du premier rang. […] Par ce moyen ils se rendraient propre, non tout ce que les anciens ont pensé, mais ce qu’ils ont pensé de mieux ; ils connaîtraient le génie et le style d’un plus grand nombre d’écrivains ; ils auraient enfin l’avantage d’orner leur esprit en formant leur goût.

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