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351. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Les plaisirs vous invitent, la volupté devient plus séduisante lorsque vous vous refusez à ses attraits, il faut, nouveaux Ulisses fermer l’oreille au chant des trompeuses Sirennes, vous couvrir de votre solitude comme d’un Egide impénétrable, fuir le monde pour lui devenir utile, embrasser la retraite autant par goût que par raison ; c’est là que votre ame ne se renferme pas dans le cercle étroit du présent qui s’échappe, mais s’élance dans ces espaces immenses qui la rapprochent des Ecrivains de tous les tems. […] Mais au sein de la retraite, on l’appelle dans le tourbillon du monde ; ceux qui se livrent aux plaisirs tumultueux veulent avoir le suffrage de la présence ; jettez-vous dans le tourbillon, frivoles Ecrivains, qui pour écrire n’avez pas besoin de penser, vous y perfectionnerez cet esprit léger tout fier d’idées sémillantes, il vous faut des éclairs, il vous faut un langage brillant qui puisse servir de voile à vos connoissances superficielles ; promenez-vous avec la folie, vous n’avez rien à gâter ; mais toi homme de génie qui as sçu méditer, poser des principes, affermir ta marche, & comme d’un tronc fertile, en suivre toutes les conséquences, toi qui vois en grand, garde-toi d’asservir tes mâles talens au goût des Sociétés ; elles corromproient ton éloquence, tes vues hardies & sublimes, ton héroïsme vertueux. […] Mais n’outrons rien, ceux qui ont le malheur d’être grands, peuvent être justes, modérés, sensibles, & indépendamment de leur nom, l’homme de Lettres se lie avec ceux qu’un même goût pour les Arts enflamme, & qui déposant l’appareil fastueux de leurs dignités, ne le reprennent qu’au moment où ils sont forcés d’aller jouer leur rôle sur la scene du monde. […] Qu’elle inhumanité les prive de l’avantage que procure le goût des Arts ? […] Par ce mot, liberté, on ne veut exprimer que le droit légitime de conduire sa vie privée selon ses goûts, en n’offensant ni les Loix politiques, ni celles de l’Etat.

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