Shakespeare a pénétré en France au moment du romantisme, quand nos lettrés commencèrent à se germaniser et il avait pénétré bien auparavant en Allemagne : il avait été oublié en Angleterre pendant les deux siècles où notre influence et nos mœurs y dominèrent ; sa gloire renaquit quand l’Angleterre reprit possession d’elle-même littérairement et socialement. […] Il est inutile de multiplier ces exemples des variations de la gloire, c’est-à-dire de la compréhension d’un artiste à travers les pays et les époques. […] Puvis de Chavannes, une partie du public s’est complue dans ce style, s’est groupée autour du peintre, et a fait sa gloire. […] Plus il y a parmi ceux-ci d’âmes vaguement analogues à celle de l’artiste, plus la gloire de ce dernier sera étendue ; il n’a qu’à se produire, à étendre sa main, on viendra à lui, sinon rien n’y fait ; le succès de Mme Bovary ne put concilier le public à l’Éducation sentimentale ; Gustave Moreau a beau être un peintre prix de Rome et médaillé, il n’est pas populaire ; M. […] L’âme d’un peuple vit dans ses monuments, non pas parce qu’il les a formés, déterminés et qualifiés, mais parce que son art, produit dans ses œuvres supérieures par une série d’hommes dénués souvent du caractère que l’on peut attribuer à leur race ou à leur époque, montre par la suite de ses manifestations glorieuses et dans la mesure même de cette gloire, quel a été le cours des penchants, le génie propre de la nation, son développement spirituel dans ses diverses époques et ses divers milieux.