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978. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

Il y a un moyen sûr d’attirer la foule autour de soi, c’est de crier fort ; avec des naufrages, des siéges, des meurtres et des combats, on l’intéressera toujours ; montrez-lui des forbans, des aventuriers désespérés : ces figures contractées ou furieuses la tireront de sa vie régulière et monotone ; elle ira les voir comme elle va aux théâtres du boulevard et par le même instinct qui lui fait lire les romans à quatre sous. […] Les hommes — mouraient, et leurs os étaient sans tombe comme leur chair. —  Les maigres étaient dévorés par les maigres. —  Même les chiens assaillirent leurs maîtres, tous sauf un ; —  et celui-ci fut fidèle au cadavre, écartant — les oiseaux, et les bêtes, et les hommes affamés, par ses hurlements, —  jusqu’à ce que la faim leur eût serré la gorge, ou que les morts qui tombaient — eussent alléché leurs mâchoires maigres. —  Lui-même n’alla point chercher de nourriture, —  mais d’un piteux et perpétuel gémissement, —  avec des cris pressés et désolés, léchant la main — qui ne lui répondait point par une caresse, il mourut. —  La foule périt de faim par degrés ; mais deux hommes — dans une énorme cité survécurent, —  et ils étaient ennemis. […] S’il s’est enfoncé dans les arts magiques, ce n’est point par curiosité d’alchimiste, c’est par audace de révolté. « Dès ma jeunesse, mon âme n’a point marché avec les âmes des hommes, —  et n’a point regardé la terre avec des yeux d’homme. —  La soif de leur ambition n’était point la mienne. —  Le but de leur vie n’était pas le mien. —  Mes joies, mes peines, mes passions, mes facultés — me faisaient étranger dans leur bande ; je portais leur forme, —  mais je n’avais point de sympathie avec la chair vivante… —  Je ne pouvais point dompter et plier ma nature, car celui-là — doit servir qui veut commander ; il doit caresser, supplier, —  épier tous les moments, s’insinuer dans toutes les places, —  être un mensonge vivant, s’il veut devenir — une créature puissante parmi les viles, —  et telle est la foule ; je dédaignais de me mêler dans un troupeau, —  troupeau de loups, même pour les conduire1290… —  Ma joie était dans la solitude, pour respirer — l’air difficile de la cime glacée des montagnes, —  où les oiseaux n’osent point bâtir, où l’aile des insectes — ne vient point effleurer le granit sans herbe, pour me plonger — dans le torrent et m’y rouler — dans le rapide tourbillon des vagues entre-choquées, —  pour suivre à travers la nuit la lune mouvante, —  les étoiles et leur marche, pour saisir — les éclairs éblouissants jusqu’à ce que mes yeux devinssent troubles, —  ou pour regarder, l’oreille attentive, les feuilles dispersées, —  lorsque les vents d’automne chantaient leur chanson du soir. —  C’étaient là mes passe-temps, et surtout d’être seul ; —  car si les créatures de l’espèce dont j’étais, —  avec dégoût d’en être, me croisaient dans mon sentier, —  je me sentais dégradé et retombé jusqu’à elles, et je n’étais plus qu’argile1291. » Il vit seul, et il ne peut pas vivre seul. […] De la draperie divine, dernier vêtement qu’un poëte respecte, il fait un chiffon qu’il foule et tord et troue de gaieté de cour.

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