Il y a un moyen sûr d’attirer la foule autour de soi, c’est de crier fort ; avec des naufrages, des siéges, des meurtres et des combats, on l’intéressera toujours ; montrez-lui des forbans, des aventuriers désespérés : ces figures contractées ou furieuses la tireront de sa vie régulière et monotone ; elle ira les voir comme elle va aux théâtres du boulevard et par le même instinct qui lui fait lire les romans à quatre sous. […] Les hommes — mouraient, et leurs os étaient sans tombe comme leur chair. — Les maigres étaient dévorés par les maigres. — Même les chiens assaillirent leurs maîtres, tous sauf un ; — et celui-ci fut fidèle au cadavre, écartant — les oiseaux, et les bêtes, et les hommes affamés, par ses hurlements, — jusqu’à ce que la faim leur eût serré la gorge, ou que les morts qui tombaient — eussent alléché leurs mâchoires maigres. — Lui-même n’alla point chercher de nourriture, — mais d’un piteux et perpétuel gémissement, — avec des cris pressés et désolés, léchant la main — qui ne lui répondait point par une caresse, il mourut. — La foule périt de faim par degrés ; mais deux hommes — dans une énorme cité survécurent, — et ils étaient ennemis. […] S’il s’est enfoncé dans les arts magiques, ce n’est point par curiosité d’alchimiste, c’est par audace de révolté. « Dès ma jeunesse, mon âme n’a point marché avec les âmes des hommes, — et n’a point regardé la terre avec des yeux d’homme. — La soif de leur ambition n’était point la mienne. — Le but de leur vie n’était pas le mien. — Mes joies, mes peines, mes passions, mes facultés — me faisaient étranger dans leur bande ; je portais leur forme, — mais je n’avais point de sympathie avec la chair vivante… — Je ne pouvais point dompter et plier ma nature, car celui-là — doit servir qui veut commander ; il doit caresser, supplier, — épier tous les moments, s’insinuer dans toutes les places, — être un mensonge vivant, s’il veut devenir — une créature puissante parmi les viles, — et telle est la foule ; je dédaignais de me mêler dans un troupeau, — troupeau de loups, même pour les conduire1290… — Ma joie était dans la solitude, pour respirer — l’air difficile de la cime glacée des montagnes, — où les oiseaux n’osent point bâtir, où l’aile des insectes — ne vient point effleurer le granit sans herbe, pour me plonger — dans le torrent et m’y rouler — dans le rapide tourbillon des vagues entre-choquées, — pour suivre à travers la nuit la lune mouvante, — les étoiles et leur marche, pour saisir — les éclairs éblouissants jusqu’à ce que mes yeux devinssent troubles, — ou pour regarder, l’oreille attentive, les feuilles dispersées, — lorsque les vents d’automne chantaient leur chanson du soir. — C’étaient là mes passe-temps, et surtout d’être seul ; — car si les créatures de l’espèce dont j’étais, — avec dégoût d’en être, me croisaient dans mon sentier, — je me sentais dégradé et retombé jusqu’à elles, et je n’étais plus qu’argile1291. » Il vit seul, et il ne peut pas vivre seul. […] De la draperie divine, dernier vêtement qu’un poëte respecte, il fait un chiffon qu’il foule et tord et troue de gaieté de cour.