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228. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — II. (Fin.) » pp. 246-265

Ajoutez à cela le mauvais goût du temps : Richelieu n’est pas seulement venu avant Pascal, il s’est formé à la phrase avant Balzac. […] À la fin de ce portrait de Luynes, l’écrivain a, je ne sais comment, une fraîcheur et une légèreté d’expression qui ne lui est point ordinaire, et qui montre que cette âme n’était point destinée si absolument à la sécheresse et à l’austérité : Sa mort fut heureuse, dit-il, en ce qu’elle le prit au milieu de sa prospérité, contre laquelle se formaient de grands orages qui n’eussent pas été sans péril pour lui à l’avenir ; mais elle lui sembla d’autant plus rude, qu’outre qu’elle est amère, comme dit le Sage, à ceux qui sont dans la bonne fortune, il prenait plaisir à savourer les douceurs de la vie, et jouissait avec volupté de ses contentements. […] Il ne saurait admettre que, dans un État, tout le monde indifféremment soit élevé pour être savant : « Ainsi qu’un corps qui aurait des yeux en toutes ses parties serait monstrueux, dit-il, de même un État le serait-il, si tous ses sujets étaient savants ; on y verrait aussi peu d’obéissance que l’orgueil et la présomption y seraient ordinaires. » Et encore : « Si les lettres étaient profanées à toutes sortes d’esprits, on verrait plus de gens capables de former des doutes que de les résoudre, et beaucoup seraient plus propres à s’opposer aux vérités qu’à les défendre. » Il cite à l’appui de son opinion le cardinal Du Perron, si ami de la belle littérature, lequel aurait voulu voir établir en France un moindre nombre de collèges, à condition qu’ils fussent meilleurs, munis de professeurs excellents, et qu’ils ne se remplissent que de dignes sujets, propres à conserver dans sa pureté le feu du temple. […] En lisant avec soin ces maximes d’État de Richelieu, un doute m’a pris quelquefois : je me suis demandé si, dans le jugement historique qui s’est formé sur lui, il n’entrait pas un peu trop de l’impopularité qui s’attache aisément aux pouvoirs forts considérés aux époques de relâchement, et si, de loin, nous ne le jugeons pas trop, jusque dans sa gloire, à travers les imputations des ennemis qui lui survécurent.

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