Le respect même et la foi sans réserve qu’on prêtait aux anciennes légendes de Charlemagne ou de Guillaume au Court Nez suscitèrent de nouveaux poèmes d’un caractère plus strictement historique : non qu’on se fit une idée plus scientifique de la vérité, ou qu’on la cherchât par une méthode plus sévère, mais simplement parce que les faits, soit extraits de chroniques latines, soit fixés tout frais et encore intacts dans une rédaction littéraire, n’avaient point subi la préparation par laquelle l’imagination populaire forme l’épopée. C’est pour les croisades d’abord qu’on eut l’idée d’appliquer la forme des chansons de geste à des faits contemporains, assez extraordinaires et lointains pour exciter une vive curiosité. […] Mais cette œuvre nous conduit vers la fin du premier tiers du xiiie siècle ; à cette date, l’histoire en prose était née : le genre avait trouvé sa forme. […] L’histoire trouva sa forme, semble-t-il, dans le nord de la France, en Picardie, en Flandre, à la veille ou aux premiers jours du xiiie siècle : des traductions de la chronique du faux Turpin, deux notamment où l’emploi de la prose est signalé par les auteurs comme une excellente nouveauté, et une compilation de l’histoire universelle faite pour ce même comte de Flandre. […] Il semble que l’univers ait été créé pour lui, et que ce soit le premier regard de l’humanité sur le monde des formes, des couleurs et du mouvement.