Non seulement il y a des précédents, et en cela le gouvernement ne fera que suivre son propre exemple ; mais telle est sa règle quotidienne, puisqu’il ne vit qu’au jour le jour, à force d’expédients et de délais, creusant un trou pour en boucher un autre, et ne se sauvant de la faillite que par la patience forcée qu’il impose à ses créanciers. […] Rappelez-vous ce marquis dont on parlait tout à l’heure, ancien capitaine aux gardes françaises, homme de cœur et loyal, avouant aux élections de 1789 que les connaissances essentielles à un député « se rencontreront plus généralement dans le Tiers-état, dont l’esprit est exercé aux affaires ». — Quant à la théorie, le roturier en sait autant que les nobles, et il croit en savoir davantage ; car, ayant lu les mêmes livres et pénétré des mêmes principes, il ne s’arrête pas comme eux à mi-chemin sur la pente des conséquences, mais plonge en avant, tête baissée, jusqu’au fond de la doctrine, persuadé que sa logique est de la clairvoyance et qu’il a d’autant plus de lumières qu’il a moins de préjugés. — Considérez les jeunes gens qui ont vingt ans aux environs de 1780, nés dans une maison laborieuse, accoutumés à l’effort, capables de travailler douze heures par jour, un Barnave, un Carnot, un Roederer, un Merlin de Thionville, un Robespierre, race énergique qui sent sa force, qui juge ses rivaux, qui sait leur faiblesse, qui compare son application et son instruction à leur légèreté et à leur insuffisance, et qui, au moment où gronde en elle l’ambition de la jeunesse, se voit d’avance exclue de toutes les hautes places, reléguée à perpétuité dans les emplois subalternes, primée en toute carrière par des supérieurs en qui elle reconnaît à peine des égaux. […] Là ils « trouvent en force et le ton haut » les autres qui ont eu l’honneur de manger avec Son Altesse et « qui ne manquent pas de saluer les arrivants avec une complaisance pleine de protection594 ». […] Ce peuple libre, juste et sage, toujours d’accord avec lui-même, toujours éclairé dans le choix de ses ministres, modéré dans l’usage de sa force et de sa puissance, ne serait jamais égaré, jamais trompé, jamais dominé, asservi par les autorités qu’il leur aurait confiées.