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1064. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Et toutefois peut-on nier quelle force de naturel et de grâce, quelle perfection animée la poésie allait prendre dans cet âge mémorable, ouvert et terminé par tant de crimes et de hontes ? […] Au moment où, conduit par une rêverie savante à ce matérialisme épicurien dont César devait abuser en factieux quelques années après, Lucrèce allait expliquer la formation spontanée du monde, l’action exclusive de la matière, l’intelligence passagère qui en résulte et la mortalité absolue de l’être humain, il élève ses regards vers les cieux ; il y voit briller un astre cher à la superstition romaine ; il en retrouve le souvenir et le nom dans les origines de Rome, et il ouvre son poëme antimythologique et antiplatonique par cette invocation incomparable à la déesse de la fécondité dans la nature, à cette déesse de la beauté et de l’amour, qu’il supplie de désarmer le dieu de la force et de la guerre : « Mère des enfants d’Énée, charme des hommes et des dieux, bienfaisante Vénus ! […] « Il est vrai172, tu ne te verras plus accueilli d’une Il famille joyeuse et d’une excellente épouse : ils n’accourront plus, ces chers enfants, se disputer tes baisers et remplir ton cœur d’un charme secret : tu ne pourras plus, par ton courage, prêter force à toi-même et aux tiens. […] La force et la mélancolie de Lucrèce ne se renouvelleront pas, non plus que son audacieuse incrédulité, qui ne sera plus professée dans le sénat par un Jules César.

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