Il partage en ce temps-là sa vie entre les Villars, les Sully, les Richelieu, les d’Ussé, les La Feuillade ; il nage à fleur d’eau dans ce grand monde et s’y déploie à l’aise comme chez lui, avec une légère pointe d’insolence qui sent la conquête. […] Quand on ne songe qu’à l’idéal de l’agrément, à la fleur de fine raillerie et d’urbanité, on se plaît à se figurer Voltaire dans cette demi-retraite, dans ces jouissances de société qu’il rêva bien souvent, qu’il traversa quelquefois, mais d’où il s’échappait toujours. « Mon Dieu, mon cher Cideville, écrivait-il à l’un de ses amis du bon temps, que ce serait une vie délicieuse de se trouver logés ensemble trois ou quatre gens de lettres avec des talents et point de jalousie, de s’aimer, de vivre doucement, de cultiver son art, d’en parler, de s’éclairer mutuellement ! […] écrivait-il à Thieriot en 1739 ; j’en suis très mortifié : il est dur d’être toujours un homme public. » Ce fut toute sa vie sa prétention d’avoir l’existence d’un écrivain gentilhomme, qui vit de son bien, s’amuse, joue la tragédie en société, s’égaie avec ses amis et se moque du monde : « Je suis bien fâché, écrivait-il de Ferney à d’Argental (1764), qu’on ait imprimé Ce qui plaît aux dames et L’Éducation des filles ; c’est faner de petites fleurs qui ne sont agréables que quand on ne les vend pas au marché. » Je me suis amusé moi-même à recueillir dans la correspondance nouvellement publiée bon nombre de préceptes de vie qui se rapportent à ce régime de gaieté, auquel il dérogea souvent, mais sur lequel aussi il revient trop habituellement pour que ce ne soit pas celui qu’il préfère : Ce monde est une guerre ; celui qui rit aux dépens des autres est victorieux. […] Quoi qu’il en soit, Voltaire, même au début, avant le rire bouffon et le rire décharné, Voltaire dans sa fleur de gaieté et de malice était bien, par tempérament, comme par principes, le poète et l’artiste d’une époque dont le but et l’inspiration avouée était le plaisir, avant tout le plaisir.