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803. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Parler de La Fontaine n’est jamais un ennui, même quand on serait bien sûr de n’y rien apporter de nouveau : c’est parler de l’expérience même, du résultat moral de la vie, du bon sens pratique, fin et profond, universel et divers, égayé de raillerie, animé de charme et d’imagination, corrigé encore et embelli par les meilleurs sentiments, consolé surtout par l’amitié ; c’est parler enfin de toutes ces choses qu’on ne sent jamais mieux que lorsqu’on a mûri soi-même. […] Dans sa première manière pourtant, à la fin du premier livre, dans Le Chêne et le Roseau, il a atteint la perfection de la fable proprement dite ; il a trouvé moyen d’y introduire de la grandeur, de la haute poésie, sans excéder d’un seul point le cadre ; il est maître déjà. […] À la fin de cette fable d’Un animal dans la Lune, La Fontaine célèbre le bonheur de l’Angleterre qui échappait alors aux chances de la guerre, et, dans cette première et pleine gloire de Louis XIV, il fait entendre des paroles de paix ; il le fait avec délicatesse et en saluant les exploits du monarque, en reconnaissant que cette paix si désirée n’est point nécessaire : La paix fait nos souhaits, et non point nos soupirs. […] C’est quand on a lu ainsi dans une journée cette quantité choisie des meilleures fables de La Fontaine, qu’on sent son admiration pour lui renouvelée et afraîchie, et qu’on se prend à dire avec un critique éminent : « Il y a dans La Fontaine une plénitude de poésie qu’on ne trouve nulle part dans les autres auteurs français66. » De sa vie nonchalante et trop déréglée, de ses dernières années trop rabaissées par des habitudes vulgaires, de sa fin ennoblie du moins et relevée par une vive et sincère pénitence, qu’ai-je à dire que tout le monde ne sache ?

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