Un misérable est accueilli dans sa pauvreté par un homme simple et généreux, qui le loge, l’alimente, l’enrichit, lui confie ses secrets, ses biens et sa vie : le fourbe se joue de la bonne opinion qu’il lui a donnée de sa foi, veut épouser sa fille, corrompre sa femme, dépouiller son héritier, se démasque effrontément, chasse son bienfaiteur de son propre asile, retient son patrimoine, le dénonce à son roi, et vient l’entraîner dans les prisons. […] L’autre parut être plus étrangère à ses vues : aussi la laissa-t-il pour compagne à Racine, né pour l’embellir et l’illustrer en rajeunissant Andromaque, Iphigénie, et Phèdre, ses nobles filles, plus heureusement que Corneille ne sut faire revivre Œdipe et Médée, autres enfants de la muse attique. […] Œdipe, dépouillé par ses fils, les accable de ses imprécations, et son ressentiment de leur ingratitude est le fondement du fait qu’ont traité Sophocle, et Ducis, son noble et touchant imitateur ; le courroux du roi Learad, détrôné par ses filles, est le fondement du fait traité par Shakespeare et imité par le même illustre auteur français. […] Racine supplée à cette tradition d’Euripide par le rôle d’Ériphile, dont la mort sauve la victime de Calchas : mais il n’eût pu faire qu’Agamemnon voulût immoler une autre fille que la sienne, sans dénaturer le fait qu’il choisit et manquer à la règle de son art. […] Œdipe a déroulé la trame mystérieuse de ses noirs destins ; il a vu pour la dernière fois le soleil ; lui-même s’est arraché les yeux dans l’accès de son désespoir ; et si vous entendiez les derniers accents que ce héros, le plus déplorable qu’ait enfanté la Melpomène antique, adresse à ses deux filles, qu’il reconnaît en frémissant pour ses sœurs, vous vous écrieriez tous ensemble avec Boileau : « Ainsi, pour nous charmer, la Tragédie en pleurs « D’Œdipe tout sanglant fit parler les douleurs !