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1040. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Benjamin Constant et madame de Charrière »

« Il vient d’arriver une fille française, qu’un Anglais traîne après lui dans une chaise de poste avec trois chiens ; et la fille et ses trois bêtes, l’une en chantant, les autres en aboyant, font un train du diable. […] J’ai fait une visite au professeur Heyne138 et j’ai vu sa fille. […] « Il faut toujours faire des allowances à une fille de professeur allemand139. […] Il y a bien encore des filles entretenues que les Anglais, entre autres, logent, nourrissent et habillent pour aller tuer le temps ; mais toute cette tuerie de temps est si maussade, c’est avec tant de peine qu’on parvient à le tuer tout à fait, et il a des moments d’agonie si pénibles pour son bourreau ! […] Comme explication nécessaire toutefois, comme image complète de sa situation malheureuse en ces années de Brunswick, il faut savoir que ce premier mariage qu’il venait de contracter si à la légère tourna le plus fâcheusement du monde ; que, dès juillet 1791, il en était à reconnaître son erreur ; qu’il résumait son sort en deux mots : l’indifférence, fille du mariage, la dépendance, fille de la pauvreté  ; que l’indifférence bientôt fit place à la haine ; qu’après une année de supplice, il prit le parti de tout secouer : « On se fait un mérite de soutenir une situation qui ne convient pas ; on dirait que les hommes sont des danseurs de corde. » Le divorce était dans les lois, il y recourut ; ce n’avait été qu’à la dernière extrémité : « Si elle eût daigné alléger le joug, écrivait-il, je l’aurais traîné encore ; mais jamais que du mépris !

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