C’était surtout la partie descriptive et pastorale de ces poésies et de ces images qui m’enivrait ; c’est tout simple : j’étais né dans les champs ; mes premiers spectacles avaient été les ombres des bois, les lits des ruisseaux, les grincements de la charrue faisant fumer les gras sillons au lever du soleil dans le brouillard d’automne, les génisses dans l’herbe, les chevreaux sur les rochers, les bergers et les bergères accroupis sur les gazons au pied des blocs de grès, à l’entrée des cavernes, autour des feux de broussailles dont la fumée bleue léchait la colline et se fondait dans le firmament. […] quand j’ai franchi le seuil du temple sombre, Dont la seconde nuit m’ensevelit dans l’ombre ; Quand je vois s’élever entre la foule et moi Ces larges murs pétris de siècles et de foi ; Quand j’erre à pas muets dans ce profond asile, Solitude de pierre, immuable, immobile, Image du séjour par Dieu même habité, Où tout est profondeur, mystère, éternité ; Quand les rayons du soir, que l’Occident rappelle, Éteignent aux vitraux leur dernière étincelle, Qu’au fond du sanctuaire un feu flottant qui luit Scintille comme un œil ouvert sur cette nuit ; Que la voix du clocher en sons doux s’évapore ; Que, le front appuyé contre un pilier sonore, Je la sens, tout ému du retentissement, Vibrer comme une clef d’un céleste instrument, Et que du faîte au sol l’immense cathédrale, Avec ses murs, ses tours, sa cave sépulcrale, Tel qu’un être animé, semble, à la voix qui sort, Tressaillir et répondre en un commun transport ; Et quand, portant mes yeux des pavés à la voûte, Je sens que dans ce vide une oreille m’écoute, Qu’un invisible ami, dans la nef répandu, M’attire à lui, me parle un langage entendu, Se communique à moi dans un silence intime, Et dans son vaste sein m’enveloppe et m’abîme ; Alors, mes deux genoux pliés sur le carreau, Ramenant sur mes yeux un pan de mon manteau, Comme un homme surpris par l’orage de l’âme, Les yeux tout éblouis de mille éclairs de flamme, Je m’abrite muet dans le sein du Seigneur, Et l’écoute et l’entends, voix à voix, cœur à cœur. […] Tu courrais, de cime en cime, De sa gloire grandir l’hymne ; Tu t’étendrais dans l’abîme Comme un limpide miroir ; Et ses anges sur leur plume Lui feraient monter ta brume Comme l’encens qu’on allume Monte en sentant le feu du creux de l’encensoir. […] Ainsi, fatigué de veille, L’enfant de chœur qui sommeille, Du cierge, qu’ourdit l’abeille, Laisse vaciller le feu ; Sur le parvis qu’il traverse, En dormant sa main le berce : La torche en vain se renverse ; La flamme se redresse et monte encore à Dieu !