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383. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Il voulait qu’on fît de verve, verver, vervement ; de pays, payser ; d’eau, eauer ; de feu, fouer, fouement ; et « mille autres tels vocables, dit-il, qui ne voyent encore la lumiere, faulte d’un hardy et bienheureux entrepreneur98. » Sa théorie, du provignement des vieux mots est ingénieuse « Tu ne desdaigneras dit-il, les vieux mots françois, d’autant que je les estime tousjours en vigueur, quoy qu’on die, jusqu’à ce qu’ils ayent fait renaistre en leur place, comme une vieille souche, un rejeton et lors tu te serviras du rejeton et a non de la souche, laquelle fait aller toute substance à son petit enfant, pour le faire croistre et finablement establir en son lieu99. » On sait jusqu’où il imita la hardiesse de la langue grecque dans la formation des mots composés. […] « Tu practiqueras bien souvent, dit-il, les artisans de tous mestiers, comme de marine, de vénerie, fauconnerie, et principalement les artisans de feu, orfèvres, fondeurs, mareschaux, minerailliers ; et de la tireras maintes belles comparaisons avec les noms propres des mestiers101. » D’après son biographe René Binet, Ronsard avait fait ce qu’il enseignait, « ne desdaignant, dit-il, d’aller aux boutiques des artisans, et pratiquer toutes sortes de mestiers pour apprendre leurs termes102. » La nouvelle école était engagée d’honneur à prouver aux cicéroniens et aux Italiens que la langue française égalait le latin et l’italien ; et pourvu qu’elle pût opposer l’épaisseur du vocabulaire français à tous les autres vocabulaires, peu importait d’où lui vinssent ses richesses. […] Il prit l’enthousiasme du savoir pour le feu poétique, et l’imitation passionnée pour l’inspiration. […] Malgré la précoce beauté de ces grands traits de philosophie chrétienne, qui sont la part de la Réforme dans Ronsard, et quoiqu’il y ait en beaucoup d’endroits de son recueil de l’imagination, du feu, de la fécondité, quelque invention de style, ce poète équivoque placé entre les petites perfections de la poésie familière de Marot et la haute poésie de Malherbe, ne sera jamais un auteur qu’on fréquente ; mais, comme représentant d’une époque, il y aura toujours justice à l’apprécier et profit à l’étudier.

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