Le Théophile Gautier des premières poésies se représente à nous comme un jeune homme frileux et casanier, « vivant au coin du feu avec deux ou trois amis et à peu près autant de chats55. » Le voyage d’Espagne le fit un tout autre homme et le transforma. […] Au moment où je le vis, c’était comme une explosion de fleurs, comme le bouquet d’un feu d’artifice végétal ; une fraîcheur splendide et vigoureuse, — presque bruyante, si ce mot peut s’appliquer à des couleurs, — à faire paraître blafard le teint de la rose la plus vermeille ! […] C’est alors, dans une de ces heures de satisfaction et de naturel orgueil, qu’il put écrire ces vers qu’il a intitulés spirituellement Fatuité (le propre du poète est d’exprimer au vif chaque sentiment qui le traverse et qui fut vrai, ne fut-ce qu’un moment) : Je suis jeune, la pourpre en mes veines abonde ; Mes cheveux sont de jais et mes regards de feu, Et, sans gravier ni toux, ma poitrine profonde Aspire à pleins poumons l’air du ciel, l’air de Dieu.