Ce qui frappe, au milieu du rôle politique assumé par Mme de Staël et de tous les généreux sacrifices qu’elle a faits à ses sentiments et à ses convictions, c’est qu’elle reste femme, bien femme, ce qui n’est pas un trait désagréable, mais plutôt une expression intéressante de physionomie. […] Dans ce duel inégal qu’elle soutint et qui, même avec de légers torts, fait son éternel honneur, elle ne résiste pas à César comme un Caton ni comme la femme de Brutus, elle résiste comme une femme française et de la haute société ; on voit l’émotion, le sein palpitant ; on entend la plainte. […] Quand elle alla, en 1803-1804, à Weimar et qu’elle noua avec la grande-duchesse régnante cette relation d’enthousiasme et d’amitié, dont les témoignages subsistent, Mme de Staël était encore une femme du xviiie siècle par les opinions, par le goût exclusif de la raison et de l’analyse, par son aversion du mystique et du surnaturel. […] Chateaubriand, dans une visite qu’il fit à Coppet en 1805, avait été également frappé de cette idée exaltée de malheur, qui lui parut disproportionnée et en contradiction avec la beauté du séjour : « Elle se regardait comme la plus malheureuse des femmes dans un exil dont j’aurais été ravi. » Mais la souffrance est là où on la ressent. […] Elle était femme, et elle aurait désiré être belle ; elle était femme, et elle aurait voulu être aimée ; elle était femme, et elle aurait voulu compter parmi les hommes comme une puissance éloquente, Elle se sentait l’âme d’un orateur.