C’était une idée fausse, quoique paternelle ; heureusement la Providence la trompa : le jeune homme étudiait le grec, le latin, le grimoire de jurisprudence par obéissance ; mais la veste de velours du paysan provençal et ses guêtres de cuir tanné lui paraissaient aussi nobles que la toge râpée du trafiquant de paroles, et, de plus, le souvenir mordant de sa jeune mère, qui l’adorait et qui pleurait son absence, le rappelait sans cesse à ses oliviers de Maillane. […] Nous ne sommes pas fanatique cependant de la soi-disant démocratie dans l’art ; nous ne croyons à la nature que quand elle est cultivée par l’éducation ; nous n’avons jamais goûté avec un faux enthousiasme ces médiocrités rimées sur lesquelles des artisans dépaysés dans les lettres tentent trop souvent, sans génie ou sans outils, de faire extasier leur siècle ; excepté Jasmin, un grand épique, mais qui a trop bu l’eau de la Garonne au lieu de l’eau du Mélès ; excepté Reboul, de Nîmes, qui est né classique et qui semble avoir été baptisé dans l’eau du Jourdain, le fleuve des prophètes, au lieu du Rhône, le fleuve des trouvères, nous n’avons vu, en général, que des avortements dans cette poésie des ateliers. […] qu’il y a loin d’un peuple nourri par de telles épopées villageoises à ce pauvre peuple suburbain de nos villes, assis les coudes sur la table avinée des guinguettes, et répétant à voix fausse ou un refrain grivois de Béranger (digne d’un meilleur sort), ou un couplet équivoque de Musset (digne de meilleure œuvre), ou un gros rire cynique d’Heyne, ce Diogène de la lyre, ricaneur et corrupteur de ce qui mérite le plus de respect ici-bas, le travail et la misère !