Il a fallu que j’arrivasse à trente ans, que mes observations se soient mûries et condensées, qu’un jet de lumière les ait même encore éclairées, pour que je pusse comprendre toute la portée des phénomènes dont j’ai été le témoin ignorant. » Il fallut peut-être à M. de Balzac, pour éveiller et ressusciter cet ancien Lambert enseveli en lui, qu’un éclair lui vînt, tombé du front d’Hébal, ce noble frère de la même famille. […] Il ne faudrait pour cela que des suppressions en lieu opportun, quelques allégements de descriptions, diminuer un peu vers la fin l’or du père Grandet, et les millions qu’il déplace et remue dans la liquidation des affaires de son frère ; quand ce désastre de famille l’appauvrirait un peu, la vraisemblance générale ne ferait qu’y gagner. […] Au milieu de toutes ces merveilles qu’il gaspille, de ces trésors qu’il dissipe en fumée, Balthazar Claës, qui croit se mettre au courant de la science moderne en poursuivant le but mystérieux des Nicolas Flamel et des Arnauld de Villeneuve, est proclamé à tout instant homme de génie, et ses actes déréglés ou même cruels envers sa famille nous sont donnés comme la conséquence inévitable d’une intelligence supérieure en désaccord avec ce qui l’entoure. […] Marié jeune, devenu père d’une nombreuse famille, l’alchimiste, qui ne se désigne lui-même que comme l’infortuné Ci…, dissipe la dot de sa femme, voit mourir de misère et de chagrin tous ses enfants ; mais il prend à toutes ces douleurs qui l’entourent une part de sympathie bien autrement active et humaine que Claës ; ce sentiment de bienveillance pour les hommes et de compassion pour les siens, qui se mêle à une si opiniâtre recherche, est un trait naturel que le romancier n’a pas assez deviné ni ménagé.