LXXIII Les étrangers se parlèrent longtemps à voix basse entre eux, et me demandèrent ceci et cela sur notre famille. […] que non, seigneur capitaine des sbires, lui répondis-je en riant, ma fille est verte, elle n’est pas mûre de longtemps pour un mari ; de plus, elle n’est pas faite pour un capitaine des sbires de la ville qui mépriserait notre humble famille, et puis elle est déjà fiancée en esprit avec son cousin, le fils de l’aveugle que voilà. […] Il n’y avait jamais eu, de père en fils, d’oncle en neveu, dans la famille, ni de titre de propriété, ni division, ni partage ; nous croyions que le domaine était à nous comme la terre est aux racines du châtaignier qui nous avait vus naître, ombragés et nourris depuis le premier jour ; l’habitude de vivre et de mourir là était notre seul acte de propriété. […] J’entendis toute la nuit chacun de nous se retourner dans sa couche et soupirer le plus bas qu’il pouvait, pour cacher son insomnie à la famille ; jusqu’au chien qui ne dormit pas cette nuit-là, et qui ne cessa pas de gronder ou de hurler du côté de Lucques, comme s’il avait compris que les hommes qui étaient partis par ce sentier n’étaient pas nos amis. […] … c’est plus que ma pauvre tête, ajoutai-je en pleurant ; c’est la vie de toute ma famille, c’est le père nourricier de ma sœur, de mon neveu, de ma fille et de moi !