De tous les États et lieux qui faisaient partie de sa vaste monarchie, Charles-Quint choisit exprès, pour cet acte solennel, la capitale des provinces belges, où il était né, où il avait été nourri, qu’il affectionnait particulièrement, et aux institutions desquelles il rendait ainsi le plus bel hommage ; il voulut imprimer, à cette renonciation politique suprême comme un caractère de famille ; et lui, le plus hautain partout ailleurs et le grave des maîtres, il eut ce jour-là des accents de cordialité et presque de bonhomie. […] Ses amis, sa famille apposaient des objections ou des délais à l’entier accomplissement de son vœu, au moins en ce qui était de la dignité impériale. […] Sans parler des meubles élégants, les murailles étaient revêtues de riches tapisseries de Flandre et décorées de plusieurs tableaux de sainteté ou de famille, dus au Titien, ce peintre favori de l’empereur et dont il avait même un jour, dit-on, ramassé le pinceau. […] Mais d’autre part, depuis qu’on a pu lire les lettres nombreuses écrites en ce même temps par les personnes de l’entourage de Charles-Quint, les consultations à lui adressées sur toutes les affaires politiques de l’Europe et les réponses, on a un double jour ouvert sur la pensée du grand solitaire ; il n’a plus été possible de dire avec Robertson : « Les pensées et les vues ambitieuses qui l’avaient si longtemps occupé et agité étaient entièrement effacées de son esprit ; loin de reprendre aucune part aux événements politiques de l’Europe, il n’avait pas même la curiosité de s’en informer. » Et sans faire de lui le moins du monde un ambitieux qui se repent, ni sans accuser les bons moines d’avoir falsifié la vérité parce qu’ils en ont ignoré la moitié, on est arrivé à voir le Charles-Quint réel, naturel, non légendaire, partagé entre les soins qu’il devait encore au monde et à sa famille, traité et considéré par elle comme une sorte d’empereur consultant, et en même temps catholique fervent, Espagnol dévot et sombre, tourné d’imagination et en esprit de pénitence aux visions de purgatoire ou d’enfer, et aux perspectives funèbres. […] S’il fait de temps en temps et par exception acte de maître, il sait pourtant trop bien au fond qu’il ne l’est plus : aussi se montre-t-il des plus sensibles à la déférence qu’on a à l’étranger pour ses désirs ; et le roi de Portugal ayant paru céder, dans une négociation de famille où il s’était montré jusqu’alors inébranlable, aux instances particulières de Charles-Quint, celui-ci en éprouva une joie telle qu’il n’en avait pas eu une semblable au temps de sa puissance pour ses succès les plus éclatants.