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1146. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Chez les animaux supérieurs, la douleur n’approche pas de celle de l’homme, par suite de l’absence des idées et de la pensée. » Notez encore que, d’après notre philosophe, le développement de la faculté de jouir ne correspond pas au développement de la faculté de souffrir, au contraire : en sorte que l’être le plus parfait qu’on puisse concevoir nous apparaît comme une sorte de machine merveilleusement organisée pour la souffrance et impropre au plaisir, comme un instrument dans lequel la douleur éveillerait de longs échos et qui n’aurait pas de cordes pour exprimer la joie. […] Une telle faculté est admirable. […] Ce quelqu’un qui regarde et qui écrit est doué d’une âme délicate et compatissante ; il possède la faculté, rare entre toutes, surtout parmi les hommes de lettres, de sortir de soi pour contempler les spectacles de l’humanité autrement qu’en observateur égoïste. […] Le « cœur », avec ses facultés spéciales, la tendresse qui l’affadit, la pitié qui se laisse duper, la bienveillance qui peu à peu glisse à la complicité, ne fonctionnait qu’avec réserve, forcé de retenir ses battements trop vifs, n’ayant pas même un langage pour s’exprimer librement, puisque : Je ne te hais point signifiait : Je t’aime, retenu par la main robuste d’un cavalier expérimenté, trop méfiant de sa monture pour jamais lui lâcher la bride. […] Au risque de paraître à mon tour « singulier », j’avouerai que ce développement me paraît d’une logique absolue : je me refuse absolument à considérer un homme comme atteint dans ses facultés mentales parce qu’il s’applique à être conséquent avec lui-même.

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