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243. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

accueilleraient les plus ingénieux modernes, les La Rochefoucauld et les La Bruyère, lesquels se diraient en les écoutant : « Ils savaient tout ce que nous savons, et, en rajeunissant l’expérience, nous n’avons rien trouvé. » Sur la colline la plus en vue et de la pente la plus accessible, Virgile entouré de Ménandre, de Tibulle, de Térence, de Fénelon, se livrerait avec eux à des entretiens d’un grand charme et d’un enchantement sacré : son doux visage serait éclairé du rayon et coloré de pudeur, comme ce jour où, entrant au théâtre de Rome dans le moment qu’on venait d’y réciter ses vers, il vit le peuple se lever tout entier devant lui par un mouvement unanime, et lui rendre les mêmes hommages qu’à Auguste lui-même. […] Et, malgré tout, ces demi-dieux une fois honorés, ne voyez-vous point là-bas une foule nombreuse et familière d’esprits excellents qui va suivre de préférence les Cervantès, les Molière toujours, les peintres pratiques de la vie, ces amis indulgents et qui sont encore les premiers des bienfaiteurs, qui prennent l’homme entier avec le rire, lui versent l’expérience dans la gaieté, et savent les moyens puissants d’une joie sensée cordiale et légitime ? […] Il vient une saison dans la vie, où, tous les voyages étant faits, toutes les expériences achevées, on n’a pas de plus vives jouissances que d’étudier et d’approfondir les choses qu’on sait, de savourer ce qu’on sent, comme de voir et de revoir les gens qu’on aime : pures délices du cœur et du goût dans la maturité.

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