Ici, plus rien de grand dans le modèle : c’est l’aplatissement lent et progressif d’une âme par la vie ; ce Frédéric Moreau est un médiocre, un faible, qui manque l’existence rêvée dans la fièvre idéaliste de ses vingt ans ; par une suite d’expériences sans éclat, minutieusement décrites en leur terne réalité, se rabattent peu à peu toutes les ambitions, s’évanouissent toutes les chimères. La profondeur et la tristesse de l’œuvre, c’est cet écoulement d’une vie, où il n’arrive rien, et, sans qu’il arrive rien, la submersion finale de toutes les espérances juvéniles dans la niaise, stupide et monotone existence du bourgeois de petite ville. […] Daudet, finement et nerveusement, a su rendre certains aspects du Paris d’il y a trente ans, aspects de la ville, aspects des âmes ; il a dessiné de curieuses et vivantes figures : il a rendu aussi, en scènes touchantes ou grandioses, l’idée que de loin, par les indiscrétions des journaux ou la publicité des tribunaux, nous pouvons nous faire des existences princières dans les conditions que le temps présent leur fait.