Cette poésie, j’essayais quelquefois de l’exprimer dans des vers ; mais ces vers, je n’avais personne à qui les faire entendre ; je me les lisais quelques jours à moi-même ; je trouvais avec étonnement, avec douleur, qu’ils ne ressemblaient pas à tous ceux que je lisais dans les recueils ou dans les volumes du jour. […] J’essayais de comprendre les paroles qu’elle murmurait ainsi et qui venaient jusqu’à moi ; mais mon drogman arabe ne put les saisir ou les rendre. […] L’une avait un genou en terre et tenait sur l’autre genoux un des enfants qui tendait ses bras du côté où pleurait sa mère ; l’autre avait ses deux jambes repliées sous elle et ses deux mains jointes comme la Madelaine de Canova sur son tablier de toile bleue ; la troisième était debout un peu penchée sur ses deux compagnes, et, se balançant à droite et à gauche, berçait contre son sein à peine dessiné le plus petit des enfants qu’elle essayait en vain d’endormir. […] et peut-être aussi de nos souvenirs et de nos sentiments individuels, Dieu seul le sait, et nos langues n’essayaient pas de le dire ; elles auraient craint de profaner la solennité de cette heure, de cet astre, de ces pensées mêmes ; nous nous taisions.