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31. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — III. (Fin.) » pp. 175-194

Si, à la bataille d’Ivry, d’Andelot avait essayé de ravir à Rosny l’étendard conquis et l’un de ses prisonniers, on peut croire qu’à son entrée à Rouen, les membres du Conseil des finances qui le voyaient de mauvais œil ne furent pas moins jaloux de lui enlever quelque chose de son convoi d’argent. […] Henri IV, ayant à l’instant donné ordre à Rosny de faire mettre à part une certaine somme pour payer la montre (ou solde) aux compagnies suisses, Sancy, collègue de Rosny aux finances et son ancien, essaya de faire acte d’autorité, et, le matin de la revue des Suisses, il lui envoya demander cet argent par un billet qui sentait le supérieur. […] Quelque temps après, un de ses autres collègues des finances, le contrôleur général M. d’Incarville, essaye de faire disparaître quatre-vingt-dix mille écus sur les cinq cent mille ; il ne sait pas que Rosny, depuis un mois, sans en avoir l’air, a pris note de son côté de toutes les dépenses. […] Rosny pourtant n’est pas de ceux qui la souhaitent en toute circonstance, et, quand il voit l’année suivante le duc de Savoie venir en France (1599) et essayer de tromper la générosité de Henri IV, il est le premier à conseiller au roi de reconduire ce duc astucieux avec une escorte de quinze mille hommes et de vingt canons jusqu’à la frontière, sauf à s’en servir aussitôt après. […] Or, combien que j’y reconnaisse une partie de ses défauts, et que je sois contraint de lui tenir quelquefois la main haute quand je suis en mauvaise humeur, qu’il me lâche ou qu’il s’échappe en ses fantaisies, néanmoins je ne laisse pas de l’aimer, d’en endurer, de l’estimer et de m’en bien et utilement servir, pource que d’ailleurs je reconnais que véritablement il aime ma personne, qu’il a intérêt que je vive, et désire avec passion la gloire, l’honneur et la grandeur de moi et de mon royaume ; aussi qu’il n’a rien de malin dans le cœur, a l’esprit fort industrieux et fertile en expédients, est grand ménager de mon bien ; homme fort laborieux et diligent, qui essaye de ne rien ignorer et de se rendre capable de toutes sortes d’affaires, de paix et de guerre ; qui écrit et parle assez bien, d’un style qui me plaît, pource qu’il sent son soldat et son homme d’État : bref, il faut que je vous confesse que, nonobstant toutes ses bizarreries et promptitudes, je ne trouve personne qui me console si puissamment que lui en tous mes chagrins, ennuis et fâcheries.

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