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667. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

L’absence complète d’imagination chez La Motte semble une qualité et un mérite de plus à Marivaux : « La composition de M. de La Motte tient de l’esprit pur, dit-il ; c’est un travail du bon sens et de la droite raison ; ce sont des idées d’après une réflexion fine et délicate, réflexion qui fatigue plus son esprit que son imagination. » Il le félicite d’être parfaitement étranger à l’enthousiasme, de ne se laisser jamais emporter, comme quelques autres, à un train d’idées ordinaires et communes, montées sur un char magnifique ; il lui accorde une vivacité toute spirituelle, d’une espèce unique et si fine qu’il est donné à peu de gens de la goûter. […] Dans un petit écrit intitulé Le Miroir et où il s’agit, en effet, d’une sorte de glace ou de miroir magique dans lequel se voit représenté tout un abrégé de l’âme et de la pensée en général, toutes les façons d’être et de sentir des hommes, tout ce qu’ils sont et ce qu’ils ont été ou ce qu’ils peuvent être, en un mot un raccourci de la nature morale, il a exposé ce que nous appellerions sa philosophie de l’histoire : elle est d’un homme très réfléchi, très éclairé, et dégagé de toute espèce de prévention. […] Aujourd’hui qu’on étudie à fond ces auteurs, les saint Bernard, les saint Thomas d’Aquin, les Abélard, et aussi les Vincent de Beauvais, les Roger Bacon, on arrive à reconnaître en quoi ces hommes, au milieu d’une civilisation qui avait tant rétrogradé en apparence, si on la compare à celle d’un Sénèque, d’un Pline l’Ancien ou d’un Cicéron, avaient pourtant des vues soit dans l’ordre moral, soit même dans l’ordre des sciences physiques, des conceptions et des essors déjà, qui étaient le résultat ou le signal d’un avancement et d’un progrès pour l’espèce.

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