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850. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Pour Victor Hugo, ce génie lyrique par essence, à l’inspiration large toujours, sinon toujours mesurée, les choses prenaient vie et âme : il croyait les entendre tour à tour, ou mieux encore toutes ensemble, et il a fait de son œuvre un chœur immense, puissant parfois jusqu’à assourdir, duquel se dégage, comme une voix d’airain retentissante et prophétique, la voix même de la nature, telle qu’elle a résonné au cœur du poète. […] Larmes et perles tout ensemble, elles sont bien en effet jaillies du cœur, ses meilleures inspirations, celles qui se sont traduites en des pièces telles que les Yeux. […] Mais la terre suffit à soutenir la base D’un triangle où l’algèbre a dépassé l’extase… Voici maintenant la vraie inspiration poétique et philosophique tout ensemble : Car de sa vie à tous léguer l’œuvre et l’exemple, C’est la revivre en eux plus profonde et plus ample, C’est durer dans l’espèce en tout temps, en tout lieu C’est finir d’exister dans l’air où l’heure sonne, Sous le fantôme étroit qui borne la personne, Mais pour commencer d’être à la façon d’un dieu ! […] Dans les Danaides, rien de plus poétique et de plus philosophique tout ensemble que le tableau de la jeune Espérance : « Mes sœurs, si nous recommencions. » Aux poètes ou aux philosophes qui croient que tout est épuisé en fait de sentiments et d’idées inspiratives, on peut dire avec Sully-Prudhomme : Vous n’avez pas sondé tout l’océan de l’âme, Ô vous qui prétendez en dénombrer les flots… Qui de vous a tâté tous les coins de l’abîme Pour dire : « C’en est fait, l’homme nous est connu ; Nous savons sa douleur et sa pensée intime, Et pour nous, les blasés, tout son être est à nu ? 

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