Deux hommes, distingués par leurs talents, et appelés à une carrière illustre, veulent se communiquer leurs desseins, ils souhaitent de s’éclairer ensemble ; s’ils trouvent du charme dans ces conversations où l’esprit goûte aussi les plaisirs de l’intimité, où la pensée se montre à l’instant même de sa naissance, quel abandon d’amour-propre il faut supposer pour croire qu’en se confiant, on ne se mesure jamais ! […] Enfin, en mêlant ensemble le sentiment et les affaires, les intérêts du monde et ceux du cœur, on éprouve une sorte de peine qu’on ne veut pas démêler, parce qu’il est plus honorable de l’attribuer au sentiment seul ; mais qui se compose aussi d’une autre sorte de regrets, rendus plus douloureux par leur mélange avec les affections de l’âme. […] Les anciens avaient une idée exaltée de l’amitié, qu’ils peignaient sous les traits de Thésée et de Pirithoüs, d’Oreste et de Pilade, de Castor et de Pollux ; mais, sans s’arrêter à ce qu’il y a de mythologique dans ces histoires, c’est à des compagnons d’armes que l’on supposait de tels sentiments, et les dangers que l’on affronte ensemble, en apprenant à braver la mort, rendent plus facile le dévouement de soi-même à un autre. L’enthousiasme de la guerre excite toutes les passions de l’âme, remplit les vides de la vie, et par la présence continuelle de la mort, fait taire la plupart des rivalités, pour leur substituer le besoin de s’appuyer l’un sur l’autre, de lutter, de triompher, ou de périr ensemble.