Aussi, et c’est en cela qu’il est d’un si grand intérêt, c’est un siècle enfant, ou, si l’on veut, adolescent. […] Au théâtre les acteurs jouent ces rôles chacun selon son « emploi » et rétablissent la différence ; mais examinez, et vous verrez qu’elle est factice. — Et, pareillement, les mères (le plus souvent) sont aussi jeunes de cœur que leurs filles ; les pères dressent des pièges joyeux où se prendront leurs enfants, d’une humeur aussi gaie et alerte que de jeunes valets. — Et tout cela est léger, capricieux, aérien, fait de rien, ou d’un rêve bleu, qui nous emmène bien loin, loin des pays qui ont un nom, dans une contrée où l’on n’a jamais posé le pied, et que pourtant nous connaissons tous pour savoir qu’on y a les mœurs les plus douces, les caractères les plus aimables, des imperfections qui sont des grâces, et que c’est un délice d’y habiter. […] Je vois dans les Lettres Persanes 28 telle théorie sur les peuples protestants et les peuples catholiques, qui est toute positive, tout appuyée sur de simples faits, qui ne veut tenir compte que des réalités palpables et tombant sous la statistique : tant d’enfants ici, tant de célibataires là, terres labourées, terres en friches, rendement des impôts. […] Cette patrie, qu’on aimerait peut-être languissamment, on l’aime ardemment, et on la sert, dans cet homme qu’on voit et qui vous voit, et peut vous remarquer, dans cet enfant qui vous sourit, qui vous plaît par sa faiblesse, qui, homme, sera là certainement, dans vingt ans, avec une mémoire que la grande patrie n’a guère. — Mais le despotisme est la pire des choses, et il est bien vrai que la monarchie y tend très directement. […] S’il s’était borné à répéter : « Ne brûlez pas les sorciers ; ne pendez pas les protestants ; n’enterrez pas les morts dans les églises ; ne rouez pas les blasphémateurs ; ne questionnez pas par la torture ; n’ayez pas de douanes intérieures ; n’ayez pas vingt législations dans un seul royaume ; ne donnez pas les charges de magistrature à la seule fortune sans mérite ; n’ayez pas une instruction criminelle secrète, à chausse-trapes et à parti pris68 ; ne pratiquez pas la confiscation qui ruine les enfants pour les crimes des pères ; ne prodiguez pas la peine de mort (il a même plaidé une ou deux fois pour l’abolition) ; ne tuez pas un déserteur en temps de paix, une fille séduite qui a laissé mourir son enfant, une servante qui vole douze serviettes ; soyez très propres ; faites des bains pour le peuple ; n’ayez pas la petite vérole ; inoculez-vous » ; — s’il s’était borné à répéter cela toute sa vie avec sa verve et son esprit et son feu d’artifice perpétuel, et à faire une centaine de jolis contes, je l’aimerais mieux.