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269. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

Des querelles frivoles, telles que des disputes sur la musique, sur la littérature, peuvent donner quelques idées légères de la nature de l’esprit de parti ; mais il n’existe tout entier, mais il n’est l’action dévorante qui consume les générations et les empires, que dans ces grands débats où l’imagination peut puiser sans mesure tous les motifs d’enthousiasme ou de haine. […] C’est sans doute à l’instinct secret de l’empire que doit avoir le vrai sur les événements définitifs, du pouvoir que doit prendre la raison dans les temps calmes, c’est à cet instinct qu’est dû l’horreur des combattants pour les partisans des opinions modérées : les deux factions opposées les considèrent comme leurs plus grands ennemis, comme ceux qui doivent recueillir les avantages de la lutte sans s’être mêlés du combat ; comme ceux, enfin, qui ne peuvent acquérir que des succès durables, alors qu’ils commencent à en obtenir. […] … C’est d’une telle supposition que les anciens ont tiré les plus terribles effets de leurs tragédies : ils attribuent à la fatalité les actions coupables d’une âme vertueuse ; cette invention poétique, qui fait du rôle d’Oreste le plus déchirant de tous les spectacles, l’esprit de parti peut la réaliser ; la main de fer du destin n’est pas plus puissante que cet asservissement à l’empire d’une seule idée, que le délire que toute pensée unique fait naître dans la tête de celui qui s’y abandonne ; c’est la fatalité, pour ces temps-ci, que l’esprit de parti, et peu d’hommes sont assez forts pour lui échapper.

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