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862. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

— Le dieu qui, avant ce jour, ne m’a pas permis de te parler196. » Voici maintenant deux passages plus explicites, tirés de l’Apologie ; le premier surtout est d’une remarquable précision ; il semble que Platon ait voulu donner là, pour n’avoir plus à y revenir, la formule authentique et rigoureusement exacte du phénomène dont il ne parle ailleurs qu’en termes abrégés : « Ce qui (m’a empêché de m’occuper des affaires publiques), ô Athéniens, c’est cette chose dont vous m’avez si souvent entendu parler, ce phénomène divin et démonique que Mélétus, pour plaisanter, a inscrit dans l’accusation Il a commencé pour moi quand j’étais encore enfant ; c’est une voix qui survient, toujours pour me détourner de ce que j’ai dessein de faire, car jamais elle ne m’exhorte (à rien entreprendre). […] Cependant, dans beaucoup d’autres circonstances, il vint m’interrompre au milieu de mon discours ; mais aujourd’hui il ne s’est opposé à aucune de mes actions, à aucune de mes paroles… C’est que ce qui m’arrive est, selon toute vraisemblance, un bien… Infailliblement, si j’avais été sur le point de faire quelque chose qui ne fût pas bien, le signe ordinaire se fût opposé à moi… Il est clair pour moi que mourir dès à présent est ce qui me convient le mieux ; c’est pourquoi le signe ne m’a empêché en rien198. » Dans le Gorgias, Socrate explique par des raisons purement logiques son abstention des affaires publiques ; rien ne prouve donc que le signe démonique soit intervenu réellement pour cet objet particulier. […] S’il insiste, à la fin, sur le caractère extérieur de la voix qu’il vient d’interpréter, c’est en des termes où la métaphore n’est pas douteuse : « Sache, mon ami, que je crois entendre ces choses, comme les Corybantes croient entendre les flûtes ; le son de ces discours retentit en moi […] et m’empêche d’en entendre aucun autre ; ainsi…, tout ce que tu me diras contre, tu le diras en vain. » Socrate symbolise par une feinte hallucination l’inébranlable conviction qui l’anime ; ce qu’il fait entendre à Criton par ce détour se dirait ainsi en langage exact : « Toutes ces raisons, je les conçois si fortement que je ne puis même arrêter mon esprit sur les objections que tu voudrais m’opposer. » La parole intérieure morale, avec son apparente extériorité, est un fait psychique naturel, fréquent surtout aux époques primitives ; la voix d’un dieu apparent ou caché en est l’imitation consacrée dans les ouvrages d’imagination (drame, épopée, roman) ; la prosopopée remplit le même office dans les ouvrages où l’écrivain parle en son nom propre ; le fait ne contenant qu’un précepte catégorique, sans motifs à l’appui, l’art de l’écrivain ajoute ces motifs et les développe en conservant au discours sa forme extérieure. […] Mais tout différents sont certains faits morbides, encore mal étudiés par les médecins, et rangés provisoirement sous le titre de chorée anormale ; une dame du grand monde parisien, qui est atteinte de cette affection, ne peut s’empêcher d’adresser tout d’abord quelque grosse injure aux personnes qu’elle aborde, puis aussitôt elle leur parle en femme du monde.

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