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531. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Il vise, en traduisant, à ce style soutenu déclaré impossible ; et, dans cet effort, il ne songe qu’à s’exercer, à prendre ses avantages, à rapporter quelques dépouilles, quelques trophées en ce qui est du génie de l’expression. […] Je me bornerai à dire à ceux (comme j’en connais) qui seraient disposés à dédaigner son effort, que, dans cet écrit, Rivarol n’est pas un littérateur qui s’amuse à faire de l’idéologie et de la métaphysique ; c’est mieux que cela, c’est un homme qui pense, qui réfléchit, et qui, maître de bien des points de son sujet, exprime ensuite ses résultats, non pas au hasard, mais en écrivain habile et souvent consommé. […] Mais aussi ce qui honore en Rivarol l’intelligence et l’homme, c’est qu’il s’élève du milieu de tout cela comme un cri de la civilisation perdue, l’angoisse d’un puissant et noble esprit qui croit sentir échapper toute la conquête sociale : « Malgré tous les efforts d’un siècle philosophique, dit-il, les empires les plus civilisés seront toujours aussi près de la barbarie que le fer le plus poli l’est de la rouille ; les nations comme les métaux n’ont de brillant que les surfaces. » Il y a des moments où, porté par le mouvement de son sujet et par l’impulsion de la pensée sociale, il va si haut, qu’on se demande si c’est bien Rivarol qui écrit, le Rivarol né voluptueux avant tout et délicat, et si ce n’est pas plutôt franchement un homme de l’école religieuse : Le vice radical de la philosophie, c’est de ne pouvoir parler au cœur.

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