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513. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

Après la génération des simples, des gens naturels, qui est bien certainement la nôtre, et qui a succédé à la génération des romantiques, qui étaient un peu des cabotins, des gens de théâtre dans la vie privée, voici que recommence chez les décadents une génération de chercheurs d’effets, de poseurs, d’étonneurs de bourgeois. […] C’est aujourd’hui moins désespérant que l’autre jour, et les remuements de foule qu’on commence à tenter, promettent, il me semble, de grands effets. […] Et c’était d’un grand effet, avec l’éclairage d’un quinquet à droite, laissant tout le bas des corps des figurants dans l’ombre, et leur sabrant la figure d’un coup de lumière de la tonalité blafarde, qui se trouve dans les têtes du fond des lithographies des courses de taureaux de Goya. […] Un ciel mauve, où les lueurs des illuminations mettent, comme le reflet d’un immense incendie, — le bruissement de pas faisant l’effet de l’écoulement de grandes eaux ; — une foule toute noire, de ce noir un peu papier brûlé, un peu roux, qui est le caractère des foules modernes, — une espèce d’ivresse sur la figure des femmes, dont beaucoup font queue à la porte des water-closet, la vessie émotionnée ; — la place de la Concorde, une apothéose de lumière blanche, au milieu de laquelle l’obélisque apparaît avec la couleur rosée d’un sorbet au Champagne ; — la tour Eiffel faisant l’effet d’un phare, laissé sur la terre par une génération disparue, — une génération de dix coudées. […] Il a une Via Appia, sous un nocturne de ciel argenté, derrière de noirs cyprès, du plus grand effet et du plus bel art.

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