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826. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

maison, jardin, prairies, Treilles qui fléchissaient sous leurs grappes mûries, Ormes qui sur le seuil étendaient leurs rameaux Et d’où sortait le soir le chœur des passereaux, Vergers où de l’été la teinte monotone Pâlissait jour à jour aux rayons de l’automne, Où la feuille en tombant sous les pleurs du matin Dérobait à nos pieds le sentier incertain, Pas égarés au loin dans les frais paysages, Heures tièdes du jour coulant sous des ombrages, Sommeils rafraîchissants goûtés au bord des eaux, Songes qui descendaient, qui remontaient si beaux, Pressentiments divins, intimes confidences, Lectures, rêverie, entretiens, doux silences, Table riche des dons que l’automne étalait, Où les fruits du jardin, où le miel et le lait, Assaisonnés des soins d’une mère attentive, De leur luxe champêtre enchantaient le convive ; Silencieux réduit où des rayons de bois Par l’âge vermoulus, et pliant sous le poids, Nous offraient ces trésors de l’humaine sagesse Où nos yeux altérés puisaient jusqu’à l’ivresse, Où la lampe avec nous veillant jusqu’au matin Nous guidait au hasard comme un phare incertain, De volume en volume ; hélas ! […] Du feu qu’elle répand toute âme est consumée ; Notre vie est semblable au fleuve de cristal Qui sort humble et sans nom de son rocher natal ; Tant qu’au fond du bassin que lui fit la nature, Il dort, comme au berceau dans un lit sans murmure, Toutes les fleurs des champs parfument son sentier, Et l’azur d’un beau ciel y descend tout entier ; Mais, à peine échappés des bras de ses collines, Ses flots s’épanchent-ils sur les plaines voisines, Que du limon des eaux dont il enfle son lit Son onde en grossissant se corrompt et pâlit ; L’ombre qui les couvrait s’écarte de ses rives, Le rocher nu contient ses vagues fugitives, Il dédaigne de suivre, en se creusant son cours, Des vallons paternels les gracieux détours ; Mais, fier de s’engouffrer sous des arches profondes, Il y reçoit un nom bruyant comme ses ondes. […] Nous restâmes en vain assis sur ces branches étendues et cachés dans ces feuillages depuis midi jusqu’au soir ; nous ne vîmes d’autre mouvement dans le parc que celui d’un filet d’eau qui scintillait en sortant d’un bassin de stuc, et celui de l’ombre qui tournait et s’allongeait sur les gazons aux pieds des saules pleureurs. […] Le reste flottait, s’étonnait, regardait, pleurait, frémissait comme une masse d’eau indécise entre deux courants.

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