En effet, ajoute-t-il, la période de sept ans correspond à une modification, à une révolution de l’homme et de ses goûts ; voyez le jeune homme de quinze, de vingt-deux, de vingt-neuf ans… » On lui demande si Troppmann a été exécuté : « Oui, il doit l’être, car un marbrier, dont j’ai soigné la femme, il y a très longtemps, est venu chez moi, saoul comme un âne, et m’a dit que comme j’avais été gentil, sa femme me faisait offrir une fenêtre, qui faisait l’angle de la place… Le marchand de vin, au-dessous de lui, a vendu trois barriques de vin, dans la nuit d’avant-hier… » * * * — Tous les jours, une partie de la journée à l’hydrothérapie, dans le petit pavillon de souffrance et de torture, où se mêlent au jaillissement de l’eau, au pscht cruel de la douche, les plaintes soupirantes, les petits cris suffoqués. […] 18 avril Tristes, comme des ombres en leurs paysages de la mort, aujourd’hui dans une longue promenade nous avons revu le Bas-Meudon, ces bords de l’eau, où autrefois nous avons été heureux avec du beau temps, des femmes, du vin, — et la santé de notre jeunesse. […] Je suis effleuré, à tout instant, du frôlement de son bras sortant de son lit, pendant que dans sa bouche avortent et se brisent des paroles qu’on ne comprend pas… Par la fenêtre ouverte, par-dessus le noir des grands arbres, entre et s’allonge, sur le parquet, la blanche clarté électrique d’une lune de ballade… Il y a de sinistres silences, où s’entend seul le bruit de la montre à répétition de notre père, avec laquelle, de temps en temps, je tâte le pouls de son dernier né… Malgré trois prises de bromure de potassium, avalées dans le quart d’un verre d’eau, il ne peut dormir une minute, et sa tête s’agite sur son oreiller dans un mouvement incessant de droite à gauche, bruissante de toute la sonorité inintelligente d’un cerveau paralysé, et jetant par les deux coins de la bouche, des ébauches de phrases, des tronçons de mots, des syllabes informulées, prononcées d’abord avec violence, et qui finissent par mourir comme des soupirs… Dans le lointain j’entends distinctement un chien qui hurle à la mort… Ah ! […] Que si, il le savait et le savait bien… L’avant-veille de sa dernière crise, il avait dit à sa maîtresse qui était venue le voir, pendant que j’étais descendu en bas lui chercher de l’eau de mélisse ; il lui avait dit, en lui recommandant de ne pas me répéter ses paroles : « Ma chère Maria, je suis bien malade, d’une maladie dont on ne guérit pas… et le tombeau est tout proche ! […] * * * Je ne sais, tout ce qui se passe autour de moi, ça a le vague des choses qu’on perçoit dans un commencement d’évanouissement, et il me semble, par moments, avoir dans les oreilles le bruissement de grandes eaux qui s’écouleraient au loin… Je vois cependant Théophile Gautier et Saint-Victor pleurer… Oh !